Il est venu pour la première fois à l’Armada en 1989 avec un micro stand et plein d’idées. Trente ans plus tard, le projet a pris forme, le Jean-Bart, véritable “cathédrale maritime”, selon les mots de son initiateur Christian Cardin est en train de devenir réalité sur le port de Gravelines, près de Dunkerque (Nord). Une belle satisfaction pour ce passionné d’histoire maritime qui avait rendez-vous cette année pour la quatrième fois avec l’événement rouennais pour partager cette incroyable aventure.
Originaire de Coutances (Manche), Christian Cardin a grandi dans le rêve de la grande navigation. « A l’école, on nous parlait toujours de la bataille de la Hougue qui aurait pu changer le cours de l’histoire ! » Après la Glorieuse Révolution anglaise de 1688, Louis XIV engage un bras de fer avec les Anglo-Hollandais pour rétablir son cousin catholique Jacques II Stuart sur le trône d’Angleterre. Fin mai 1692, sous la conduite de l’amiral de Tourville à bord du célèbre Soleil Royal, les flottes s’affrontent au large de Barfleur (Manche). Les Français ont cependant sous-estimé les forces adverses et doivent se replier. Le vaisseau amiral est coulé dans la rade de Cherbourg et une dizaine d’autres navires, piégés à la pointe de la Hougue, sont anéantis. La bataille tourne au désastre, marquant l’histoire d’une blessure profonde qui finira par s’évanouir dans les sables de la Manche. Mais pas pour tout le monde ! Christian Cardin, devenu ingénieur hydrogéologue a gardé le souvenir de son vieux professeur d’histoire. De la côte ouest du Cotentin à la côte est, il y a à peine plus de 50 km et il sait que quelque part au large de La Hougue, reposent des épaves que personne n’est jamais allé explorer. Lui-même plongeur amateur, il tente alors plusieurs repérages. « Je logeais à l’hôtel du café du port à Saint-Vaast-La Hougue. C’est en échangeant avec les pêcheurs, que j’ai pu finalement localiser les vestiges ». Sur la base de ces premières trouvailles, un chantier de fouilles est ouvert par la DRAC* au début des années 90 et deux épaves sont identifiées, Le Magnifique et Le Saint-Philippe. Dès lors, le projet de reconstituer un vaisseau emblématique de la grande Marine Française commence à émerger. Il sera porté par l’association Tourville, créée en 1992 par Christian Cardin et dix ans plus tard, le chantier est lancé. « La difficulté pour nous était surtout de retrouver des plans. A l’époque, les bateaux étaient construits par les Compagnons dont le savoir se transmettait oralement. Pour reconstituer ces plans, nous avons donc travaillé avec les outils numériques d’aujourd’hui à partir des relevés faits sur les deux épaves retrouvées, mais également des dessins de l’Album de Colbert qui pose les grands principes de construction. »
Pour Christian Cardin, l’implantation définitive du projet Tourville à Gravelines avait plusieurs légitimités. « Dunkerque était l’un des cinq arsenaux de Louis XIV et Gravelines, une place forte Vauban. Il y avait surtout un potentiel touristique important, puisque le but du chantier est surtout qu’il se visite et crée de l’emploi ! » Aujourd’hui, six charpentiers de marine travaillent pour l’association et la coque est déjà bien avancée avec le démarrage du premier pont. Une fois achevé, ce navire unique représentant de cette époque, mesurera 65 mètres en incluant le beaupré, sera constitué de trois ponts et équipé de 84 canons. Et il portera le nom de Jean Bart, célèbre corsaire dunkerquois de Louis XIV.
La dynamique est donc lancée et a reçu désormais l’appui des collectivités qui en perçoivent le potentiel de développement local. « Nous nous donnons encore 10 ans », lance enthousiaste Christian Cardin qui vient de transmettre les rênes du projet à son fils Jean-Edouard Cardin. Pour ne pas faire de concession aux contraintes modernes, le bateau ne naviguera pas mais il pourra être remorqué « pour participer à de grandes fêtes comme l’Armada », promet-il. Rendez-vous est donc pris pour 2032, et cette fois, ce sera une arrivée en grande pompe !
*Direction Régionale des Affaires Culturelles
Association Espace Tourville Gravelines, à retrouver tout au bout du quai, rive droite. Plus d’infos www.espacetourville.com