Dans la longue liste des personnalités qui ont marqué la Seine-Maritime, et Rouen en particulier, Marcel Duchamp fait figure de trublion. Artiste complet et incisif, insatiable provocateur, il cultiva à loisirs le goût de la parodie, à rebours de tous les académismes.
Artiste culte aux États-Unis où il résida une partie de sa vie, Marcel Duchamp est désormais aussi reconnu sur sa terre natale comme un des pères fondateurs de l’art contemporain, et pas seulement par les Duchampiens. Né en 1887 à Blainville-Crevon, initié à l’art par un grand-père artiste, le jeune Marcel grandit entouré de six frères et sœurs et il n’est pas le seul à avoir du talent : ses deux frères Raymond et Gaston (futur Jacques Villon) et sa sœur Suzanne deviendront eux aussi des artistes accomplis. Très vite, pourtant, Marcel Duchamp occupe une place à part. Proche des mouvements dada puis surréaliste, ce touche-à-tout est doué d’une imagination fertile qui le pousse à prendre ses distances d’avec tous les courants artistiques. Il préfère adopter une posture de chercheur, toujours prêt à tenter de nouvelles expériences, quitte à brouiller les repères. Dès les années 20, il s’invente même un double féminin Rrose Sélavy, traduisez, « Eros, c’est la vie ». Plusieurs œuvres marquantes vont émailler sa vie d’artiste, depuis le Nu descendant un escalier encore influencé par le cubisme au projet du Grand verre, resté inachevé en passant par la Joconde à moustache (L.H.O.O.Q, 1919). En 1917, sa Fontaine, simple urinoir renversé et érigé en art, fait scandale. Dans un monde en pleine transformation, Marcel Duchamp s’intéresse aux objets du quotidien et peu à peu affine son concept du ready-made. Ces objets « tout faits » qui accèdent au statut d’œuvre par la seule volonté de l’artiste, révolutionnent ainsi la démarche artistique.
Personnage iconoclaste, autant adulé que critiqué, Marcel Duchamp reste finalement peu célébré dans sa ville de Rouen ; et cependant, plus de 50 ans après sa mort en 1968, son esprit libre et facétieux y rôde toujours : au musée des Beaux-Arts où une salle lui est consacrée, à la Brasserie Paul où il avait coutume de s’installer pour jouer aux échecs, devant la demeure familiale au 71 de la rue Jeanne d’Arc. « D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent » dit l’épitaphe gravée sur sa tombe au cimetière monumental sur les hauteurs de la ville. Il avait sans doute raison : en regardant plus attentivement la plaque posée en hommage à la famille Duchamp sur la façade de la rue Jeanne d’Arc, toutes les dates de décès de ses frères et sœur sont mentionnées, sauf une, celle de Marcel.