La rue de la Vicomté, avec ses restaurants, ses magasins de vêtements, ses vieilles maisons à pans de bois qui gardent la fraîcheur l’été, fait partie du cœur historique de Rouen. Mais à quoi ou à qui fait donc référence cette Vicomté ?
La rue de la Vicomté abritait autrefois le siège de la Vicomté de l’eau, une puissante juridiction aujourd’hui en grande partie oubliée, mais qui marqua pourtant l’histoire du port de Rouen pendant près de 800 ans ! L’institution était chargée ni plus ni moins d’organiser la navigation sur l’ensemble de la basse Seine entre Paris et Le Havre. Ainsi, si elle avait son siège à Rouen, la Vicomté de l’eau avait aussi plusieurs antennes, à Caudebec-en-Caux, à La Mailleraye ou à Quillebeuf-sur-Seine. À Rouen, elle logeait à proximité de l’église Saint-Vincent, paroisse détruite en 1944 mais alors fréquentée par les négociants et le personnel du port.
La Vicomté de l’eau avait pour vocation de remplir trois missions. La première était d’organiser les mouvements des bateaux, le chargement et le déchargement des marchandises et d’assurer la police des lieux. Chaque quai était dédié à des marchandises bien identifiées tels le quai au bois, aux tissus, aux poissons, etc. Sa seconde mission était de percevoir les innombrables taxes qui frappaient les activités plus ou moins liées à la vie du port car tout était prétexte pour prélever des droits et péages : le passage d’une rive à l’autre, selon qu’il s’agissait de denrées (mesurées au poids), d’animaux ou de personnes, le franchissement d’un pont, le halage, l’accès à un quai selon la nature des marchandises, de leur provenance, etc. La Vicomté de l’Eau avait, par ailleurs, la garde des poids et étalons, autrement dit les outils de mesure sans lesquels aucun commerce n’était possible. Enfin, elle intervenait surtout pour régler les différends et conflits qu’on imagine nombreux dans un port constamment en effervescence.
Les usages et tarifs étaient définis dans son coutumier qui avait force de loi. Un manuscrit du coutumier de la Vicomté de l’eau de la fin du XVe siècle a d’ailleurs été acquis en 2003 par les Archives départementales de la Seine-Maritime qu’il est possible aujourd’hui de consulter.
L’empilement de ces taxes et réglementations sous l’Ancien Régime ayant fini par nourrir une administration pléthorique, la Vicomté de l’eau fut supprimée par la Révolution française. L’ensemble du système fut alors remis à plat et plus tard la Chambre de commerce puis le Port autonome de Rouen prirent le relais. De ces huit siècles d’histoire, il reste au moins le nom d’une rue, qu’on parcourra sans doute désormais avec un regard différent.