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Tout le monde a en tête quelque part rangé dans ses souvenirs de collégien la figure de Gargantua et de ses guerres picrocholines. Mais si François Rabelais a incontestablement popularisé ce truculent personnage, il n’est pas parti de rien. Depuis les temps préhistoriques, Gargantua hantait déjà la vallée de la Seine…

Mont-Gargan à l’entrée de Rouen, « chaise » de Gargantua près de Duclair, ancienne Pierre Gant près de Tancarville : pour qui sait lire la toponymie, l’ombre du géant Gargantua veille sur la vallée de la Seine depuis la nuit des temps. Entre tous ces sites, un dénominateur commun : « gargan » qui veut dire littéralement la pierre (Gar) géante (Gan) ou « méga lithe ». C’est que le personnage bien en chair et rigolard imaginé par l’humaniste Rabelais pourrait être issu d’un mythe celtique beaucoup plus ancien qui aurait depuis imprégné la mémoire collective. Lié au culte solaire, il accordait un sens sacré aux pierres dressées et aux proéminences naturelles censées attirer la foudre et être en communication directe avec le divin. De ces premières croyances est né un personnage populaire de géant voyageur qui, selon les légendes, parcourait le monde il y a bien longtemps à coup de grandes enjambées et venait en aide aux populations. Il laissa de nombreuses traces sur son passage, façonnant ainsi les paysages : fauteuils aux endroits où il se serait reposé, rivières nées des flots de son urine… Incarnation d’une puissance géologique et bienfaitrice, cet ancêtre de Gargantua était également lié au culte de la fécondité : Il est ainsi raconté qu’à Rouen, les femmes portaient autrefois sur elles des amulettes priapiques, les « gargans », censées favoriser une bonne fécondité. Enfin, né des forces telluriques, le héros avait aussi à voir avec le monde souterrain : c’est ainsi que les historiens ont pu rattacher sa figure aux nombreuses histoires de serpents, vouivres et autres dragons cracheurs de feu qui selon la tradition chrétienne hantaient les villes comme à Rouen avec sa fameuse « gargouille » dont la consonance n’est pas si éloignée.

Comme toutes les croyances héritées du paganisme, le mythe de Gargantua fut combattu par le christianisme tel Saint-Romain terrassant symboliquement la gargouille. Beaucoup de pierres dressées prirent alors le nom de « pierres du diable » et curieusement saint Gorgon, présent notamment autour de Saint-Martin-de-Boscherville, était invoqué pour une bonne fécondité.  Mais c’est surtout l’archange saint Michel qui aurait pris la place de Gargantua sur les hauteurs. Ainsi, aux portes de la Normandie, le célèbre Mont-Saint-Michel serait initialement né à l’ouest de trois cailloux semés par le géant pour traverser la baie, tandis qu’à l’est, un autre puissant monastère aujourd’hui pour l’essentiel disparu, et dédié lui aussi à saint Michel, campait justement sur les hauteurs du Tréport.

Image © Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, FOL-DC-298 (J, 2)