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Après une semaine de folie, tout est prêt maintenant pour le grand départ. Aux premières heures de la matinée, c’est la frégate multi-missions Normandie qui ouvrira le bal et le Dar Mlodziezy viendra majestueusement en clôture de cette huitième édition de l’Armada. Juste avant lui, le norvégien Statsraad Lehmkuhl devrait lever l’ancre aux alentours de midi, direction Honfleur. Nous sommes allés rencontrer son capitaine, Jens Joachim Hiorth pour connaître son état d’esprit à la vieille de ce nouveau voyage. 

Sur le pont supérieur, un peu à l’écart de la foule, Jens Joachim Hiorth nous reçoit chaleureusement après une semaine éreintante. « J’ai tout de même pu descendre une fois pour aller visiter Rouen ! » se satisfait-il. De toutes façons, même à quai, on ne descend pas si facilement de son bateau. Venu de Bergen sur la côte norvégienne, il y retournera après l’Armada, se poser au milieu des fjords silencieux. Tout est prêt pour appareiller. « Le navire se veut le plus autonome possible », relève le capitaine, et fonctionne plutôt à l’économie, en traitant notamment lui-même son eau, en vue de longues traversées. Les voiles resteront repliées, trop risqué pour manœuvrer dans le chenal. Le bateau avancera donc au moteur, mais les 25 membres de l’équipage seront sur le pont aux côtés des quelque 240 passagers qui auront le privilège de « parader » tout le long de la Seine en regardant défiler les paysages seinomarins. Une petite exception à la règle qui veut que toute personne montant à bord du Statsraad Lehmkuhl soit considérée comme faisant partie de l’équipage, et donc tenue de participer à la vie du bateau : « Ici, tout le monde travaille ! » confirme le capitaine, lui-même depuis sept ans aux commandes du navire.

Derrière les couleurs de la fête et la clameur joyeuse qui remontera des berges, se dessine un ailleurs plus âpre, sur un bateau qui a tout de même plus d’un siècle d’histoire et a formé des milliers de marins. Construit comme navire-école par les Allemands en 1914, il croise après-guerre la route d’un passionné auquel il doit en partie son destin hors norme, l’ancien ministre Lehmkuhl, « statsraad Lehmkuhl» dit-on en norvégien, l’un des artisans de l’indépendance du pays en 1905. En 1923, il intercède pour que le bateau soit racheté par l’association des navires-écoles de Bergen ; dès lors, il ne quittera plus cette ville. Aujourd’hui propriété d’une fondation, l’imposant voilier est désormais un habitué de l’Armada (il a même fait l’objet d’un timbre-poste en 1999 pour l’Armada du siècle). Et plus que jamais, il est venu porter à Rouen la voix de l’océan : en avril dernier, il rentrait en effet d’une expédition de 20 mois à travers le globe, conduite sous l’égide des Nations Unies dans le cadre de la Décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030). « Sur 600 jours d’expédition, nous avons consacré 120 jours à prélever des échantillons qui ont été envoyés depuis à l’université d’Oslo pour étudier l’état des fonds marins. L’intérêt de notre expédition était d’avoir pour la première fois une vue globale », explique Jens Joachim Hiorth. Montée des eaux, contaminations au plastique, le capitaine du Statsraad Lehmkuhl et son équipage ont touché du doigt les enjeux climatiques et de pollution et se sentent investis d’une mission d’alerter. Chaque escale est l’occasion d’éveiller les consciences sans compter les nombreux stagiaires accueillis à bord, scientifiques, étudiants, ou toute autre personne intéressée, inévitablement sensibilisés.  Une nouvelle expédition est prévue pour 2025 : « cette fois, nous remonterons jusqu’au passage du nord-ouest, pour redescendre par l’Alaska la côte ouest des États-Unis jusqu’au canal de Panama et retour ». Un voilier ambassadeur au chevet de l’océan, décidément, ce navire est une histoire de passionnés : alors, au revoir et à bientôt pour nous parler encore de la mer à la prochaine Armada !