En voilà un drôle de nom pour une chapelle ! A-t-on jamais vu le bout du vent ? Eh bien si, par ici, tout au moins au temps de la marine à voile… Impossible à l’époque de se laisser porter au-delà de cette limite naturelle, le vent ne soufflant plus assez fort pour faire avancer les navires. Après ce « bout du vent » commençait donc le chemin de halage où les embarcations étaient tirées depuis la berge par les hommes et par les chevaux.
Mais pourquoi une chapelle à cet endroit ? Pour comprendre, il faut regarder cette fois vers l’autre rive, car si les eaux de la Seine de nos jours paraissent bien tranquilles, il n’en fut pas toujours ainsi. Avant les travaux d’endiguement, réalisés dans la seconde moitié du XIXe siècle, traverser le fleuve était une entreprise périlleuse, en particulier l’hiver, du fait du brouillard et des courants. Les habitants du hameau d’Heurteauville qui dépendaient alors de la paroisse de Jumièges pour leurs obligations religieuses, en firent ainsi les frais, et les noyades étaient fréquentes. Par une pétition du 15 août 1726, ils finirent donc par réclamer qu’une chapelle soit édifiée sur la rive gauche ; ce qui fut fait, en 1730, après trois ans de travaux. Pour en limiter le coût, on récupéra les objets de culte, ainsi que la charpente d’une chapelle abandonnée à Guebarvile, la chapelle Saint-Philibert du Torps.
La nouvelle chapelle d’Heurteauville, dédicacée à Saint Simon et Saint Jude, fut vite adoptée par la population, et en particulier les jeunes gens qui, dit-on, venaient s’y marier en secret, sans l’autorisation de leurs parents !
Trois siècles plus tard, derrière une aire de camping-car et quelques habitations, sur sa minuscule place du bout du vent, la chapelle d’Heurteauville témoigne de cette histoire passée. Si elle n’ouvre plus qu’épisodiquement (pendant les Journées du patrimoine ou la fête de la pomme), il est toujours possible d’en faire le tour ou de s’asseoir sur un banc : sous les tilleuls, la pause est délicieuse, au calme face à la Seine et à l’abri du vent.