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Je ne savais pas ce que c’était, l’Armada. J’étais là presque par hasard. J’étais régisseur d’un groupe vocal. Nous avions été engagés par une société qui offraient à ses clients un repas en plein air, au bord de la Seine, à l’occasion de ce défilé.

Je n’avais jamais de ma vie assisté à une Armada. J’étais venue pour autre chose. Le nez rivé à ma table de mixage, attentive à ce que l’animation musicale du déjeuner se passe au mieux, j’étais surtout préoccupée par le réglage d’un son correct pour les chanteurs. Il fallait que le public ait envie de lever le nez de son assiette pour écouter et regarder la prestation sensée le distraire en attendant le grand show des bateaux.

Il faisait une chaleur étouffante, je ne me sentais pas très bien. Sûrement en prévision d’une éventuelle pluie, la réception avait lieu sous d’immenses tentes en plastique transparent. Cela ne faisait que renforcer la température estivale ce jour-là.

Quand la prestation a été terminée, je rangeais péniblement câbles, enceintes, micros avec un seul objectif : en finir au plus vite pour pouvoir souffler un peu et atténuer la migraine en avalant une, deux ou trois aspirines.

Mais alors, l’organisateur de la réception a dit au groupe : « les invités ont beaucoup apprécié votre spectacle. Désormais, vous pouvez profiter de l’emplacement idéal pour regarder avec nous le passage des bateaux. »

Nous étions aux premières loges. Passés de prestataires à invités VIP. Et c’est alors que j’ai assisté au plus beau spectacle que je n’ai jamais vu de ma vie. Pas besoin de sono, de micros, d’éclairage. Un spectacle irréel et intemporel. Pas de musique, pas de mots, mais de la danse pure. Quelle danse ! Celle de ces navires gigantesques et de leurs marins agiles sur les mats qui nous saluaient. Quelle beauté. Tout avait disparu autour de moi : oubliée la chaleur, disparue la migraine, effacée la fatigue, évanouis les invités, invisibles la troupe et le client. Il n’y avait plus rien que les bateaux et mon émerveillement.

Je garderai un souvenir inoubliable de cet instant imprévu, où sous le ciel normand, je suis passée de la régie… à la Seine. Où j’ai vu cette féérie de câbles, autrement plus enchevêtrés que les miens, qui eux dormaient bien rangés dans le camion. Ces câbles qui reliaient le sol des bateaux à l’infini du ciel.