« Sur un bateau, on se sent un peu quelqu’un d’autre »
Entre Patrick Herr, figure historique de l’Armada et Jean-Paul Rivière, ingénieur et entrepreneur rouennais, le passage de flambeau pour la présidence de l’association L’Armada s’est fait naturellement, autour d’une passion commune : la voile. Nous avons été à leur rencontre pour connaître leur état d’esprit avant le lancement de cette édition 2023.
Si vous deviez vous présenter en trois mots, quels seraient-ils ?
Patrick Herr : Quand Jean Lecanuet a cherché une idée pour redynamiser les quais de Rouen et que j’ai proposé en 1986 pour le centenaire du départ de la Statue de la liberté une course de multicoques, personne n’y croyait ! Alors je dirais peut-être audace. Et surtout persévérance puisque j’ai recommencé trois ans plus tard pour le bicentenaire de la Révolution française. Et enfin réussite car c’est une manifestation qui fait aujourd’hui l’unanimité. Ma plus grande fierté, c’est surtout d’avoir fait des millions d’heureux.
Jean-Paul Rivière : Disons que ma vie a été marquée par trois figures : l’entrepreneur, car ma plus belle passion reste l’entreprise, cette aventure humaine et collective. Le marin car depuis l’enfance, j’ai toujours navigué. Et à présent, le président de l’Armada !
Comment a débuté votre histoire personnelle avec la voile ?
PH : En nageant dans la Seine. J’ai grandi dans une maison au bord du fleuve, à Anneville-Ambourville et j’y ai commencé la voile sur un bateau bricolé avec trois bidons. Aujourd’hui, j’ai un bateau qui me permet d’aller pêcher au large de Deauville. C’est une expérience solitaire que j’apprécie toujours : sentir les éléments autour de soi, la mer, le vent…
JPR : J’ai connu Rouen par la Seine. Habitant Mantes-la-Jolie, nous faisions souvent la descente du fleuve avec notre petit bateau familial et c’est dans le port de Rouen qu’on installait le mât. Pendant longtemps, je n’ai même connu que les quais de Rouen. Plus tard, j’ai navigué un peu partout dans le monde, pour le loisir, mais aussi la compétition – j’ai d’ailleurs remporté une transat en équipage en 2017 comme skipper. Mes souvenirs les plus forts restent l’entrée dans la baie de New York et l’Antarctique.
L’Armada, c’est aussi une occasion de voyager sans quitter la terre ferme ?
PH : En effet, l’Armada m’a permis de faire des rencontres magnifiques. Des Italiens, des Brésiliens, des Mexicains… J’ai souvent été invité par les commandants sur les bateaux. En amont, les contacts se font surtout via les ambassades, mais dans l’échange, on découvre d’autres cultures, d’autres manières de faire. C’est un voyage par la pensée, très enthousiasmant.
JPR : Je n’ai connu l’Armada qu’après mon arrivée à Rouen en 1989, mais depuis je fais partie des admirateurs. Pour un chef d’entreprise, c’est une belle vitrine ! Les bateaux font toujours rêver.
C’est un peu ce que les gens viennent chercher à l’Armada : du dépaysement, un sentiment de liberté ?
PH : L’Armada, c’est d’abord l’Armada de la liberté. Les voiliers évoquent la mer, dernier espace de liberté où l’on peut encore s’aventurer sans dire où l’on va. L’événement est en phase avec les aspirations actuelles de la société. Après la crise sanitaire, les gens ont besoin de retrouver des horizons.
Pour vous qu’est-ce qui a fait la réussite de l’Armada ?
PH : L’adhésion de tous. Le port, les collectivités, les bénévoles : tout le monde a joué le jeu et apporté sa contribution pour que l’événement soit une réussite. Rouen est aussi un site exceptionnel avec cette enfilade de 3 km de quais de chaque côté, couronnée par les feux d’artifice. La ville a été pionnière et aujourd’hui beaucoup d’autres lui emboitent le pas en organisant à leur tour des rassemblements de bateaux. Mais il n’y a qu’une ville où ce rassemblement porte le nom d’Armada, c’est Rouen. Nous l’avions adopté en 1994, quand on a accueilli les premiers navires de guerre, Rouen étant alors la marraine du navire-école, la Jeanne d’Arc. Aujourd’hui, c’est le Département qui parraine la frégate multi-missions Normandie de la Marine Nationale…
Trente-sept ans après le début de cette aventure, l’Armada de Jean-Paul Rivière va-t-elle ressembler à celle de Patrick Herr ?
JPR : Bien sûr ! Quand une entreprise marche bien – et encore cette année, l’engouement ne se dément pas – il n’y a vraiment aucune raison de tout révolutionner. On peut juste apporter des améliorations, mais c’est à la marge. Avec la présence de Michel Bussi, nous avons souhaité ainsi introduire une dimension de culture populaire et nous avons travaillé davantage sur l’empreinte environnementale, un sujet désormais incontournable pour un événement de cette ampleur. Mais nous restons avant tout dans la continuité.
La descente de la Seine est un grand moment de l’Armada. Quelles images gardez-vous des années précédentes ?
PH : Des images de fête. Je retiens surtout ces deux millions de personnes qui se pressent sur les bords de Seine pour chanter, applaudir, remercier l’Armada… Il y a aussi les fanfares, les parterres de fleurs, et la campagne – sublime – les abbayes de Jumièges et de Saint-Martin-de-Boscherville, les églises… Pour moi, c’est un moment très émouvant.
JPR : J’ai toujours aimé ces grands lacets et l’arrivée plus lente après Notre-Dame-de-Gravenchon, dans un paysage de fin de journée. Rien n’est jamais pareil sur la Seine et on passe devant des lieux chargés d’histoire, comme la maison de Victor Hugo.
Où serez-vous pour cette Grande Parade ?
PH : Comme à chaque Armada, sur un bateau !
JPR : Cette fois, je serai sur un bateau, mais j’ai connu aussi le plaisir d’être sur les bords de Seine. L’état d’esprit est différent. À terre, on est plus dans l’action. Sur un bateau, on est déjà en mer, presque contemplatif. On se sent un peu quelqu’un d’autre.